Cette fiction est ma contribution au troisième atelier d’écriture #EcritHebdo lancé sur Mastodon (compte @EcritHebdo). Chaque mercredi un nouveau thème. Le thème pour cet atelier était de placer les mots “ébaubir”, “conspuer” et “vitupérer”. Bonne lecture !


De ma geôle je pouvais entendre les préparatifs en centre-ville. On installait estrades, loges et gradins de fortunes afin que le gouverneur prenne la parole dans la soirée. Les sons de la villes étaient mon seul et unique moyen d’être certain du jour que nous étions. À moins que la ville entière ne conspire contre mon sens du temps qui passe nous devions être le premier avril. Le gouverneur a pour habitude de s’exprimer en public les premiers jours de chaque mois, clamant son amour au peuple d’Illegardia, et tout un tas de discours soporifiques perfusés de démagogie. C’est lors de la dernière représentation que je me suis fait attraper et qu’on m’a enfermé dans une cellule de la tour Nord de la prison place Saint Martin. En un sens mon sort n’est pas si terrible puisque je vais pouvoir assister à l’événement de ce soir et me délecter, si tout se passe comme prévu, du nouveau coup monté par la guilde des Équilibristes .

La guilde des Équilibristes, dont je fais partie, vous vous en doutez, est un ordre guerrier clandestin dans lequel s’engagent parias, orphelins, soldat bannis du royaume et autres petites gens malmenées par la politique classiste de la couronne. Appartenir à la guilde c’est accepter d’avoir pour but unique, quitte à perdre la vie, de déstabiliser voire achever le pouvoir en place. Je suis moi-même condamné à mort mais après la tuerie que j’ai orchestrée le premier mars dernier je n’ai pas à rougir, mon contrat est rempli. Certains nous nommeront terroristes mais croyez-moi la plupart des gens d’Illegarde nous voient comme des justiciers, du moins j’ose l’espérer sinon ils ont sacrément du plomb dans la tête. Je ne révélerai pas la façon dont on s’y est pris, non j’emporte ce secret dans ma tombe, si jamais quelqu’un pense à m’en creuser une. Je risque de pendouiller un long moment aux portes de la ville en guise d’exemple et de nourriture pour corbeaux… Mais je dois vous avouer ma fierté d’avoir pu ce soir d’hiver écourter la vie de trois diables vivants. Les trois conseillers militaires chéris du gouverneur sont tombés, en même temps, devant toute l’assemblée. Ah quel spectacle! Personne ne nous a vus venir. Bon, je me suis fait attraper mais je sais que mes acolytes ont échappé à la milice, ils n’ont même pas été repérés. Ça faisait partie du plan, n’allez pas croire qu’il m’ont attrapé à cause d’une erreur de ma part, je vous en prie !

Le plus drôle c’est qu’ils ne doivent probablement pas se douter de ce qui les attend ce soir. Ce soir, c’est toute la ville qui se soulève. J’entends déjà la foule vitupérer, conspuer les propos mielleux du grotesque orateur. Et je le vois, lui, mauvais acteur, cabotin aux mimiques dégoûtantes, s’ébaubir et supplier ses sujets de retrouver la raison. Ah quelle joie ! Quelle joie !

Je me mets à pleurer. La peur me fait souvent céder à une douce folie mais de temps en temps le seau d’eau froide de la cruelle réalité m’arrive en pleine figure. La nuit vient de tomber, plus un bruit dans le quartier de la place Saint Martin. Cela fait 5 jours que je suis enfermé, ma sentence a lieu demain. J’ai raté mon coup et la quasi-totalité des membres de la guilde ont été arrêtés. À quoi ai-je servi ? À quoi avons-nous servi ? À rien ! Ils auront le dernier mot et je vais mourir pour rien ! Adieu.

Adélie